❧ A tresillustre et tresnoble Princesse, Madame la Duchesse d’Estampes, et Contesse de Poinctievre. Charles de saincte Marthe, son tresobeissant, rend humble Salut
A l’imitation de l’Archer, qui son Arc desbende pour à meilleur exercice le reserver, souloit communement Socrates de sa roidde et severe Philosophie à jeux pueriles se descendre. Cecy ne dy je, Princesse tresillustre, pour me voulant ascrire plus hault estude, deprimer l’exercice de la mienne Langue vulgaire, veu que plusieurs de trop plus celebre Nom que le mien, s’y sont esbatu ; et mesmement que, selon ma vacation, ne puis, pour le present, plus louable sacrifice à ma Nation, que d’illustrer sa Langue selon mon rudde Esprit. Mais tends à ceste fin, que la haultesse de ton humilité, se daigne quelque foy de plus grande occupation lassée à si bas passetemps se demettre. Lequel facilement je dirois avoir temerairement soubs l’excuse de ton sacré Nom mis en lumiere, si je ne sçavoys l’affection tienne envers les Lettres et les Lettrés, excuser plus grande faulte, que ne pourroit pecher l’ignorance de la mienne envers toy bonne intention. Et plus pour ceste seule occasion, que pour vouloir par mon vain escrire adjouster clarté à la lumiere de tes vertus, ay bien osé abuser de la debonnaireté de ta noble nature, qui entre toutes les Princesses que je cognois, ne m’es veue la derniere à se delecter à toutes vertueuses exercitations tant humbles et indignes de gravité soient elles. Et mesmement qu’aulcune foy, après longue frequentation des fructueux et bien cultivés Vergiers, l’asperité et solitude des boys nous agrée, tant nous est la Nature par sa diverse varieté non moins belle qu’amyable. Parquoy, après estre jà assés acoustumée en l’armonieuse melodie des haultes Lyres desquelles celle Court treschrestienne, tresheureusement aujourdhuy plus que nulle aultre, abonde, te pourras delecter en ceste mienne vaine et jeune fatigue, laquelle, non aultrement que après longue et griefve tempeste, le palle et travaillé Nocher descouvrant de loing la Terre, à laquelle, avec tout estude il s’efforce de se saulver, recueille le mieulx qu’il peut tous les fragments de sa navire rompue, j’ay amassée pour à ton Port tresdesiré la diriger ; auquel si aggreablement elle se veoit quelque foy pervenue, te pourra mettre plus haulte, non toute foy sienne, invention, qui est partie de la traduction de ce Buccoliquain Theocrite, elegante imitation de nostre grand Poete ; en laquelle plus spatieusement te pourras esbattre pour la diverse copiosité des matieres aultant elegamment deduittes, que ingenieusement bien trouvées. Et là (vueille Dieu) puisse valoir le mien envers toy affectionné vouloir, puisque la mienne sotte translation ne t’y pourra (j’en suis seur) si plaisamment plaire, que l'Oeuvre de soy le merite. Tu doncques - une entre nostre siecle des belles treserudite, des erudites tres belle et (ce que j’ay en toy plus reveré) de ancienne prudence, de meur jugement des treshumaines et tresornées coustumes divinement biendouée - recepvras benignement les tables de mon naufrage par divers cas de la Fortune conduitte, finablement en petits faiz reduittes, et maintenant en ce tien Havre, où de long temps les Muses commodément se retirent, asseurément arrivées, imploreront perpetuelle prosperité, et à moy humble pardon de ta trop plus qu’humaine ingenuité de ma trop grande temerité, peult estre offencée. Faisant fin, je supply le Seigneur, auteur, et createur de toutes choses,et d’icelles par sa grande Providence gubernateur et conducteur, te donner, tresillustre Princesse, avec sa Grace, vie, en prosperité et santé, tréslongue.
De Lyon, ce premier jour de Septembre. Mil cinq cens.XL.